Etre généalogiste, c’est entrer au cœur des familles. Certaines histoires sont heureuses, d’autres malheureuses. Il faut savoir prendre le recul pour traiter certains dossiers. Mais parfois, certaines histoires prennent au cœur.
A lire le sujet du challenge de ce mois, j’ai hésité longtemps. Parce que cette histoire est tragique, parce qu’il y a peine un an, je ne la connaissais pas, parce que cette histoire, c’est aussi la mienne, du moins celle qui a façonné la mienne.
Massia Giwertzmann, dite Gawecmann, épouse Sibirsky.
Elle, c’est Massia. Et si vous me suivez sur les réseaux sociaux (ici ou là), vous la connaissez sans doute.
Massia vit avec Isaac, son mari, et ses autres enfants : Rosa, Nathan, Maurice, Jacques, Raymond et Denise. Ils habiteront quasiment toute leur vie au 104 faubourg Saint Antoine, Paris 12e.
D’origine polonaise, Isaac et Massia seront naturalisés courant 1930. Loin des progroms, loin de ces pays antisémites. C’est la France, c’est la liberté.
Une guerre.
Pourtant, à peine une décennie plus tard, les voilà obligés de porter l’étoile jaune. Heureux Nathan, décédé en 1935. Au moins, il n’aura pas connu cette misère.
L’occupation est terrible pour eux. Ils voient jour après jour leurs libertés se réduire. Massia perd son fils Jacques, le commis en pharmacie en 1941. Isaac, son mari, en juin 1942. Elle n’a plus les moyens de payer de loyer. Maurice travaille en Allemagne. Denise est encore à l’école. Raymond a 17 ans. Il aide autant qu’il peut, mais entre son statut juif et son âge, a part faire quelques courses rémunérées dans le quartier… Elle doit 1 600 francs à son bailleur.
En Février 1943, elle apprend que sa belle-fille Léa a été arrêtée.
Le 20 Mars 1943, alors qu’elle était chez elle, elle est arrêtée avec son fils Maurice. Direction le camp d’internement de Drancy.

Cinq jours plus tard, Massia et Maurice prendront le convoi n°53, en direction du camp d’extermination de Sobibor. Là-bas, à peine descendue du train, ses effets personnels seront récupérés. Massia et Maurice rentreront dans ce qu’ils ignorent être des chambres à gaz. Leur agonie durera quelques minutes. Puis leurs corps seront brûlés.
Après l’horreur.
Je pourrais arrêter l’histoire là. Serait-ce vraiment traiter le sujet de « victime civile » ? Il faut savoir que le terme de « victime civile » est une reconnaissance de l’état envers les victimes « collatérales » civiles, tué par des non civils lors d’une guerre. En France, cette reconnaissance existe depuis la loi du 24 juin 1919, et ouvre droit à une réparation, souvent financière, voire à l’adoption en tant que pupille de la nation. Cette reconnaissance est étendue en 1953 pour les victimes de déportation ou leurs descendants.

A la demande des filles survivantes de Massia, Rosa et Denis, le certificat de disparition de leur mère sera établi en 1962, sésame nécessaire pour déclarer son décès. Le décès de Massia et de Raymond ne sera acté qu’en 1963, presque 20 ans après leur disparition.

Le décès ouvre droit à la reconnaissance de victime civile, et dans le cas de Massia, à la reconnaissance de son statut de déportée politique. Un pécule de 312 francs (soit 494€) est envoyé en Janvier 1964 aux filles de Massia.
L’acte de décès de Massia portera en 2002 la notion de « Mort en déportation ».


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